A propos       Plan du site       Livres       Articles       Interviews
 
 
Biographie de Louis Dingemans
 
Acteur de Vatican II
 

Membre de la communauté dominicaine de Louvain-la-Neuve, Louis Dingemans s'est éteint le 4 septembre 2011 à l'âge de 86 ans… il était l'un des derniers acteurs vivants de Vatican II.

 
 

Louis Dingemans laisse à la fois le souvenir d’un homme d'action et de combat, d’un esprit libre et critique, mais également d’un homme de foi tourné vers l’espérance, bref d'une personnalité atypique… à l’intérieur de la « Sainte Boutique » comme il se plaisait à le dire souvent.


Un homme d'action et de combat

Bien qu’ayant vécu une enfance difficile (parents divorcés, milieu familial modeste), Louis Dingemans se passionna pour la lecture dès son plus jeune âge. « A huit ans, je lisais déjà le journal et un livre par jour (1) », précisait-il lors d'une interview accordée à l’hebdomadaire belge Dimanche Express. De 16 à 19 ans, il traversa une période d'athéisme, sans toutefois que la question de Dieu ne cesse de le préoccuper… jusqu’au jour où il découvrit les dominicains, « séduit par le climat de prière et la vie commune, par la liberté exigeante du point de vue intellectuel (2) ».

Profondément humaniste, il s’orienta tout naturellement vers la sociologie et devint très rapidement un sociologue érudit et sagace à tel point qu’il fut chargé d’enseigner cette discipline à l'Université dominicaine de Rome. C'est dans ce contexte qu'il fut amené à participer, pendant le Concile Vatican II, à la rédaction de la Constitution pastorale Gaudium et Spes « sur l'Église dans le monde de ce temps », l'un des documents les plus importants issus de ce Concile.

Ensuite de retour en Belgique, sa patrie – où il exerça la deuxième partie de son ministère – et toujours très sensible aux souffrances de ses semblables, il mit alors l’accent sur la rencontre avec les autres. C’est ainsi que dès le début des années 70, le sociologue dominicain – préférant la parole à l’écriture – prononça « jusqu’à deux cents conférences par an. Ajoutez à cela des amitiés, notamment avec des non-croyants, et le soutien de quelques confrères (3) » ! Notons aussi qu’il donna de son temps à la Radio-Télévision catholique belge dont il fut l’un des animateurs. Et tout cela, avec une extrême humilité ; d’ailleurs, il se considérait lui-même comme un « médiocre serviteur » (4) !

Dans son écoute de la souffrance, il rencontra particulièrement le monde des divorcés : « J'ai reçu plus d'un millier de couples divorcés, remariés… (5) » disait-il en 2003 au journal belge Le Soir ! Pareillement, il s'investit fortement auprès des jeunes qui malheureusement, on le sait, subissent de plein fouet l'impact de cette crise de l’institution familiale : « Durant les retraites avec les adolescents – un total de quatre cents –, il percevra combien les jeunes peuvent être marqués par la séparation de leurs parents (6). »

Ainsi, « la rencontre de personnes divorcées, remariées ou non, l'a engagé depuis 1970 dans un combat pour un changement d'attitude de l'Église romaine à leur égard. Des prêtres et des laïcs ont constitué avec lui une équipe pastorale spécialisée dans cette problématique particulièrement sensible (7) ». Fruit de « trente années d'écoute, de réflexion et d'action sur ce terrain brûlant du service pastoral (8) » : un livre intitulé Jésus face au divorce, que l’éminent théologien publia en janvier 2004 aux éditions Racine / Fidélité. Son seul livre (son principal combat), mais il a suffi pour fonder son autorité en la matière… réputation qui a d’ailleurs vite franchi les frontières de la Belgique pour s'installer durablement en France !


Un esprit critique pourvu d’une grande liberté de parole

Louis Dingemans, faisant preuve d’une indépendance de pensée courageuse, portait un regard critique sur l’Eglise catholique. On ne compte plus les débats dans lesquels il a pris position.

« Homme d’intelligence, de sagesse et de bon sens, au jugement parfois quelque peu carré sur ses confrères, très sévère sur l’institution de l’Église aujourd’hui. Il aurait aimé écrire un texte fort, une sorte de manifeste, pour défendre l’honneur de la théologie, comme exercice critique et apport nourrissant de l’intelligence de la foi (9). »

Il voyait en particulier la nécessité et l'urgence d'un retour aux sources de l'Evangile. Selon lui, l’une des vocations prioritaires de l'Eglise était de « promouvoir un renouvellement profond de l’identité chrétienne. Tâche d’ailleurs qui doit être celle de toutes les Eglises qui se réclament du Christ et qui toutes doivent admettre qu’aucune transmission n’échappe aux dangers de déformation. […] L’Eglise romaine, une parmi les autres, devrait aussi méditer humblement la réflexion profane de Montesquieu, "tout pouvoir corrompt et le pouvoir absolu corrompt absolument" (10) » !

Dans son livre remarqué, voici également – à titre d’exemples – ce qu'écrit le très ouvert dominicain : « La méconnaissance du christianisme devient générale surtout parmi les jeunes car le discrédit qui frappe l’enseignement du magistère écarte de toute catéchèse. […] Certes les théologiens ont fait et font œuvre de décantation de l’héritage doctrinal chrétien pour l’épurer de ses scories et en déployer les authentiques richesses. Ce travail a mobilisé et mobilise une somme énorme d’énergie. Pour ceux qui s’y attellent ou sont informés de ses résultats, il est source d’un retour aux racines mêmes de la foi, d’une redécouverte joyeuse du trésor de l’Evangile. La crise actuelle de la foi est donc féconde. Mais tous, y compris dans l’univers ecclésiastique et parmi les autorités hiérarchiques de l’Eglise, ne la considèrent pas ainsi. […] La hiérarchie de l’Eglise romaine défend bec et ongles un enseignement périmé (11). »

Et au sujet de l’institution du mariage : « L’obstination de l’Eglise à maintenir une conception inadaptée du mariage et de la sexualité, et son refus de tenir compte de la situation nouvelle de la procréation dans la vie des couples, ont gravement contribué à miner sa crédibilité dans le grand public et le peuple chrétien (12). »
 

Un homme de foi tourné vers l’espérance

Louis Dingemans déplorait une « crise majeure de la foi » et à ses yeux, des « révisions doctrinales » étaient inévitables : « Héritière du Christ et de la Bonne Nouvelle, l’Eglise se doit de relire son héritage à la lumière des progrès récents des connaissances humaines. […] Comment croiront-ils [les croyants] si l’enseignement qui leur est donné ne répond plus aux exigences d’une foi critique, si la Bonne Nouvelle n’est pas décantée de ses déformations et anachronismes au profit d’un retour à son fondement dans le Christ ? […] Le renouveau de la prédication et de la catéchèse suppose l’emploi des méthodes nouvelles de présentation et de diffusion. Mais l’usage de ces techniques demeurera inutile tant que ne sera pas levée la censure exercée par la curie romaine sur le contenu à communiquer (13). »

Et le professeur Dingemans de poursuivre en donnant l’exemple de la remise en question de l’immortalité naturelle de l’âme… « aussi dérangeante que le fut en son temps la découverte que la terre tournait autour du soleil. […] L’affirmation que l’âme humaine peut être séparée du corps et est naturellement immortelle, n’est pas d’origine chrétienne, mais a été introduite dans la catéchèse et la théologie postérieure au message originel des Evangiles sous l’influence des penseurs grecs, particulièrement les platoniciens. Cette donnée anthropologique dualiste, étrangère à la tradition hébraïque et à la pensée de Jésus, a cependant été en quelque sorte "dogmatisée" en 1513 au concile Latran V. (14) »

A ce propos, on peut se réjouir du fait que cette notion de « résurrection sans âme immortelle » si longuement controversée soit maintenant bien mieux perçue par les chrétiens avertis… qui, de plus en plus, fondent leurs recherches sur l’exégèse et l’histoire. On constate en effet depuis environ 2006 – particulièrement dans les milieux protestants – un nouvel intérêt pour ces conceptions alternatives concernant l’au-delà. Rappelons-nous en revanche les volées de bois vert que suscitait généralement cette remise en question dans les années 50-60 !

Assurément, le frère Louis croyait fermement à la résurrection : « Je crois donc à la résurrection de la chair, c’est-à-dire de l’homme tout entier et non pas à une survie naturelle d’une âme immortelle. […] Je n’ai pas d’âme immortelle, et la résurrection que j’espère n’est pas un fruit de ma nature. Elle est pur don gratuit de Dieu et c’est en cette infinité de sa bonté que je mets ma confiance (15). »

En dépit des longues et dures souffrances qui l'ont accablé pendant les dernières années de sa vie, il a toujours accordé son entière confiance à Dieu : « Je suis devenu inapte à tout travail, même léger [nous écrivait-il en 2007], j'approche des 83 ans et sors d'une série de séjours en clinique. […] Mon médecin est le seul à être optimiste en ce qui concerne une prochaine reprise de forces. Pour ma part, j'attends plutôt de rejoindre le Seigneur ! Nous n'aurions pas la foi si nous n'étions pas héritiers du Christ par la médiation de l'une ou l'autre Eglise chrétienne. Je ne renie pas la mienne, mais je me sens à l'aise pour contester tout ce qui, dans cet héritage, me semble être le fruit de diverses déformations dues aux aléas de l'histoire (16). »


Une longue vie, bien remplie, mise au service de sa foi

Durant sa vie faite de courage, de quête intellectuelle rigoureuse, de communication, de dévouement et d'écoute active de ses semblables, Louis Dingemans a toujours témoigné de sa foi librement… surtout par la parole, mais aussi par son remarquable ouvrage qui fait toujours autorité.

C’est pourquoi il convenait de rendre hommage à l'action éminente de cet homme – qui sort de l'ordinaire –, à ses remarquables qualités humaines, à son érudition et à ses convictions profondes. Nous avons conscience de ne l’avoir fait qu’imparfaitement… du moins, avons-nous tenté de le faire avec respect et admiration.

 
Claude Bouchot
 
__________
1. Charles Delhez, « La question de Dieu ne m’a plus jamais lâché » (Portrait de Louis Dingemans), Dimanche Express, 2004, n° 33, p. 1.
2. Ibid.
3. Ibid., p. 3.
4. Ignace Berten, Homélie du 9-9-2011 à l'église St Etienne à Froimont-Rixensart, Site des Dominicains de Belgique sud, [En ligne] http://www.precheurs.be/ (consulté en octobre 2011).
5. Propos recueillis par Hugues Dorzée, « Etats d'âme en Belgique profonde », Le Soir, 17 mai 2003, p. 4.
6. Charles Delhez, op.cit., p. 3.
7. Louis Dingemans, Jésus face au divorce, Namur-Paris : Racine / Fidélité, 2004, 4e de couverture (Biographie de l'auteur).
8. Ibid.
9. Ignace Berten, op.cit.
10. Louis Dingemans, « Ajouter un "C", celui de critique », La libre Belgique, 30-10-2008.
11. Louis Dingemans, Jésus face au divorce, Namur-Paris : Racine / Fidélité, 2004, p. 168-169 (extraits reproduits avec l’aimable autorisation de l’auteur donnée de son vivant).
12. Ibid., p. 171.
13. Ibid., p. 171-172.
14. Ibid., p. 169-170.
15. Louis Dingemans, La résurrection sans âme immortelle, Site Prédication [En ligne] http://www.predication.org/ (consulté en novembre 2007, extraits reproduits avec l’aimable autorisation de l’auteur donnée de son vivant).
16. Louis Dingemans, communication personnelle, 17-12-2007.
 
 
© Bouquet philosophique