Le christianisme repose sur les piliers jumeaux de la liberté et de la tolérance, deux valeurs essentielles qui, de surcroît et depuis longtemps, orientent les principes de la vie sociale dans nos démocraties occidentales. Pour le chrétien, deux notions inséparables s'articulant dans une logique d'amour inconditionnel. Avant de nous intéresser à la tolérance chrétienne (sujet traité par ailleurs sur ce site), essayons tout d'abord de comprendre ce que la Bible entend par liberté.
« Il n'y a de liberté que chrétienne [affirme Roger Barilier, ancien pasteur de la cathédrale de Lausanne]. Saint Paul n'hésitait pas à dire : "Tout m'est permis", en ajoutant aussitôt : "mais tout n'est pas utile ; tout m'est permis, mais je ne me laisserai asservir par rien" (1 Corinthiens 6.12). Le Christ, de son côté, déclarait : "Si vous demeurez dans ma Parole, vous êtes vraiment mes disciples ; vous connaîtrez la vérité et la vérité vous rendra libres" (Jean 8.31-32) ; "Si donc le Fils vous affranchit, vous serez réellement libres" (Jean 8.36). Il y a donc une condition à remplir pour accéder à la vraie liberté [...] être greffé sur la Parole du Christ, le Libérateur par excellence, et se laisser affranchir par lui "de la servitude de la corruption" qui a pris possession de nos cœurs, "pour avoir part à la liberté glorieuse des enfants de Dieu" (Romains 8.21). Alors, si cette condition est remplie, si nous sommes intérieurement transformés, nous serons "véritablement" et "réellement" libres. Ces deux adverbes laissent entendre que, hors de Jésus-Christ, nous ne sommes libres que faussement, mensongèrement, en apparence ou en imagination (2). »
Jésus était un homme étonnamment libre, se réclamant d'une liberté dont nous devrions apprendre à nous saisir. Les lignes suivantes empruntées à L'Encyclopédie catholique pour tous mettent bien en évidence ce trait de caractère du fondateur du christianisme : « Jésus était libre. Libre par rapport aux traditions et aux coutumes. Libre par rapport à ce qu'on appellerait aujourd'hui les conflits de classe : il les ignore superbement et va manger chez les uns et chez les autres. Libre par rapport au qu'en-dira-t-on : il parle aux prostituées comme aux "collabos". Libre par rapport aux prescriptions religieuses comme le sabbat. Libre par rapport aux femmes : alors que cela ne se faisait pas, il leur parle, en fait ses amies intimes, défend, éventuellement, leurs droits (Mt 5.31). Libre par rapport aux politiques : il paie l'impôt, mais sait traiter Hérode de renard. Libre par rapport à la maladie et à la mort : il guérit les uns, ressuscite Lazare. Libre par rapport aux contraintes naturelles : il marche sur la mer. Libre par rapport à sa famille : elle veut "s'emparer" de lui, mais n'y arrive jamais. [...] Pour imposer cette liberté, il a une autorité naturelle qui laisse ses contemporains éberlués : "A cette vue, les foules furent saisies de crainte et rendaient gloire à Dieu d'avoir donné un tel pouvoir aux hommes" (Mt 9.8). Mais cette liberté extraordinaire a toujours semblé s'exercer en vue d'obéir au Père et de sauver les hommes (3). »
En matière de liberté, on sait déjà que Dieu, dans son amour infini, a attribué aux humains le libre arbitre de la volonté et du même coup la liberté de se tromper qui n'est rien d'autre que le droit à l’erreur… même à l’erreur fatale ! Dès lors, ceux-ci ont le droit de choisir leur propre voie et peuvent notamment se déterminer librement face au chemin de vie proposé par leur Créateur. Autrement dit, ils ont la capacité d'accepter ou de refuser le salut que Dieu leur offre gracieusement. Pour l'homme, il s'agit en fait du choix le plus crucial ici-bas puisqu'il commande son destin : la vie éternelle pour celui qui choisit de marcher avec Dieu ou la mort éternelle pour celui qui – préférant le péché – rejette son plan.
Une perspective divine quant à la destinée humaine clairement confirmée par l'apôtre Paul dans son épître aux Romains : « Le salaire du péché, c'est la mort, mais le don gratuit de Dieu, c'est la vie éternelle en Jésus-Christ notre Seigneur » (Romains 6.23). Dans cette lettre justement – sans oublier celle aux Galates –, Paul s'attarde sur les divers sens de la liberté chrétienne. Passons-les en revue brièvement.
Libération du péché
Tout d'abord, en choisissant Dieu comme maître, le croyant est libéré de la puissance du péché. « Le péché est une puissance qui nous éloigne du Christ ; uni à la mort du Christ, le chrétien meurt au péché et se trouve ainsi libéré de cette puissance. C'est ce que représente le rite du baptême, toujours pratiqué par immersion dans l'Antiquité. [plus précisément dans l’Eglise primitive, comme aujourd’hui dans beaucoup d’Eglises chrétiennes] Le baptisé disparaît un moment sous la surface de l'eau : c'est une sorte de mort. Il resurgit ensuite à l'air libre comme s'il naissait à une vie nouvelle. Il a échappé définitivement au péché et à la loi qui en renforçait le pouvoir (4). »
C'est ce qu'explique Paul dans son épître : « Ne savez-vous pas que nous tous qui avons été baptisés pour être unis à Jésus-Christ, nous avons été baptisés en étant associés à sa mort ? Par le baptême, donc, nous avons été mis au tombeau avec lui pour être associés à sa mort, afin que, tout comme le Christ a été ramené d’entre les morts par la puissance glorieuse du Père, nous aussi nous vivions d’une vie nouvelle. En effet, si nous avons été unis à lui par une mort semblable à la sienne, nous serons également unis à lui par une résurrection semblable à la sienne. Sachons bien ceci : l’être humain que nous étions auparavant a été mis à mort avec le Christ sur la croix, afin que notre nature pécheresse soit détruite et que nous ne soyons plus les esclaves du péché » (Romains 6.3-6, BFC).
Et Paul d’ajouter : « Maintenant, vous avez été libérés du péché et vous êtes au service de Dieu ; vous y gagnez d’être dirigés dans une vie sainte et de recevoir, à la fin, la vie éternelle » (Romains 6.22, BFC).
Nous comprenons que pour être véritablement libre – affranchi du péché – il faut accepter le lien de dépendance qui nous unit à Dieu. Dès que ce lien est rompu, nous ne sommes plus libres mais « esclaves du péché ».
Libération de la loi
D'autre part, le croyant est libre par rapport à la loi : « Maintenant, nous sommes libérés de la loi, car nous sommes morts à ce qui nous retenait prisonniers. Nous pouvons donc servir Dieu d'une façon nouvelle, sous l'autorité de l'Esprit Saint, et non plus à la façon ancienne, sous l'autorité de la loi écrite » (Romains 7.6, BFC).
Rappelons en passant – ce fut la grande redécouverte de la Réforme – que l'obéissance à la loi ne sauve pas, seule la grâce divine libératrice, reçue par la foi, peut justifier l'homme devant la justice divine : « Ce n'est pas par les œuvres de la loi que l'homme est justifié, mais par la foi en Jésus-Christ » (Galates 2.16). Ce qui signifie donc que l'action chrétienne est une conséquence du salut (obtenu par la seule foi) et non sa condition. « Les bonnes œuvres n'ont jamais fait un homme bon, mais un homme bon fait de bonnes œuvres (5) », écrivait le réformateur Luther !
Libération par l'Esprit
Puis, au chapitre 8 de son épître aux Romains, Paul développe la notion de libération par l'Esprit. Mais déjà, au chapitre 7 – que nous venons de citer –, l'apôtre précise que « nous [les chrétiens] avons été soustraits au pouvoir de la Loi [...] A présent, nous possédons une nouvelle vie. Nous sommes libres de servir Dieu [...] avec les forces que nous donne l'Esprit de Christ en nous » (Romains 7.6, Parole vivante par Alfred Kuen).
Ainsi, l'Esprit joue un rôle dominant dans la libération du croyant : « Nous vivons à présent sous un nouveau régime, celui du Saint-Esprit. Cet Esprit nous donne la vie qui était dans le Christ Jésus et nous introduit dans la communion avec lui. Cette puissance vivifiante de l'Esprit me soulève hors du cercle vicieux du péché et de la mort ; cet ordre nouveau me permet d'échapper au régime du mal qui me menait à la ruine. [...] L'Esprit qui vous a été donné ne vous transforme pas en esclaves, il ne vous ramène pas sous la férule de la crainte, il vous a introduits de plein droit dans la famille de Dieu, il a fait de vous les fils adoptifs de Dieu » (Romains 8.2 et 15, Parole vivante par Alfred Kuen).
« Tu n'es plus un esclave, un serviteur subordonné ; tu es un enfant libre, un fils et, en tant que fils, tout l'héritage t'appartient parce que Dieu l'a voulu ainsi » (Galates 4.7, Parole vivante par Alfred Kuen). En lui procurant la paix intérieure, l'Esprit libère l'homme du souci de gagner le ciel par ses œuvres et du sentiment d'incapacité à atteindre cette finalité par ses propres forces. Finalement, « là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté » (2 Corinthiens 3.17).
Liberté en Christ
Par ailleurs, dans l'épître aux Galates, Paul révèle le sens de la liberté en Christ : « Frères, c'est à la liberté que vous avez été appelés. Seulement, ne faites pas de cette liberté un prétexte pour vivre selon votre nature propre. Au contraire, soyez par amour serviteurs les uns des autres » (Galates 5.13), ce qu'il confirme dans sa première lettre aux Corinthiens : « Bien que je sois libre à l'égard de tous, je me suis rendu le serviteur de tous, afin de gagner le plus grand nombre » (1 Corinthiens 9.19).
L'apôtre Pierre ne tient pas un autre langage puisque pour lui, la véritable signification de la liberté chrétienne est tout simplement... la possibilité de servir Dieu : « Comportez-vous en hommes libres, non certes comme des gens qui, sous couvert de liberté, justifient leur désir de suivre leurs mauvais instincts, mais comme des hommes qui, librement, servent Dieu » (Première lettre de Pierre, 2.16, Parole vivante par Alfred Kuen).
C'est ce qu'a bien compris Luther : « Le chrétien est l'homme le plus libre ; maître de toutes choses, il n'est assujetti à personne. Le chrétien est en toutes choses le plus serviable des serviteurs ; il est assujetti à tous (6) », parole mémorable qui illustre bien le côté (apparemment) paradoxal de la liberté chrétienne. Ainsi, le croyant est libéré... pour servir Dieu et son prochain ! Mais c'est justement ce que fut le Christ, libre et serviteur : « Je suis au milieu de vous comme celui qui sert » (Luc 22.27), disait-il un jour aux apôtres (cf. Jean 13-14).
Liberté dictée par l'amour des autres
Pour celui qui est soumis à Christ, la liberté – qui, au premier abord, semble sans limites – doit néanmoins toujours être dictée par l'amour du prochain. Si, à l'égard des grands principes doctrinaux, l'unité s'avère absolument indispensable dans nos communautés chrétiennes, la liberté par contre demeure de règle pour tout ce qui n'est pas essentiel. Mais cette liberté – quitte à la restreindre – doit effectivement être sans cesse guidée par le respect des convictions personnelles des uns et des autres, le souci de leur édification, le renoncement à les juger et la crainte d'offenser notamment les plus jeunes dans la foi.
A propos de cet autre sens de la liberté chrétienne, laissons à nouveau la parole à l'apôtre Paul : « Accueillez celui qui est faible dans la foi, sans critiquer ses opinions. Par exemple, l'un croit pouvoir manger de tout, tandis que l'autre, qui est faible dans la foi, ne mange que des légumes. Celui qui mange de tout ne doit pas mépriser celui qui ne mange pas de viande et celui qui ne mange pas de viande ne doit pas juger celui qui mange de tout, car Dieu l'a accueilli, lui aussi. Qui es-tu pour juger le serviteur d'un autre ? Qu'il demeure ferme dans son service ou qu'il tombe, cela regarde son maître. Et il demeurera ferme, car le Seigneur a le pouvoir de le soutenir » (Romains 14.1-4 BFC). Et Paul de poursuivre dans une autre de ses lettres : « Prenez garde que la liberté avec laquelle vous agissez n'entraîne dans l'erreur ceux qui sont faibles dans la foi » (1 Corinthiens 8.9 BFC).
Appelés à la liberté
La véritable liberté chrétienne est aussi celle qui nous affranchit de toute idéologie humaine, traditions pesantes ou croyances populaires non fondées sur la Bible ainsi que du légalisme religieux entretenu par bon nombre de chrétiens de tout bord. Quand donc les Eglises se concentreront-elles sur ce qui est vraiment essentiel à la foi ? Quand prêcheront-elles d'abord l'évangile libérateur du Christ sans lui ajouter des préceptes accessoires, mais ayant force de loi ?
La vraie liberté chrétienne implique enfin une grande latitude par rapport à l'institution ecclésiale, le poids de celle-ci ne devant en aucun cas être un frein ou un obstacle à notre libre accès à Christ. C'est ce que confirme, en d'autres termes, Henri Fesquet, ex-chroniqueur religieux du journal Le Monde : « Ni telle philosophie, ni telle théologie, ni telle morale, ni tel canon, ni telle civilisation, ni telle nation, ni telle classe, ni telle race, ne constituent des idoles et ne doivent nous faire plier les genoux. Ce ne sont que des instruments provisoires. [...] Dès que ces moyens se révèlent inadaptés, dès qu'ils font écran, il faut prendre ses distances par fidélité à Jésus-Christ (7). » Aussi, on peut exiger que de leur côté les Eglises reconnaissent volontiers à chacun de leurs membres le droit de changer librement d'affiliation religieuse dès que celle-ci n'est plus en phase avec ses convictions.
Laissons le dernier mot au théologien baptiste Hubert Goudineau : « Notre vocation chrétienne, c'est la liberté. Nous sommes appelés à constamment progresser sur ce chemin de liberté. Vivre libre, c'est donc être vainqueur par l'Esprit de ces deux tyrans que sont la loi et la chair. Vivre libre, c'est savoir au plus profond de nous-mêmes que nous sommes aimés de Dieu, et c'est choisir librement et joyeusement de se mettre au service les uns des autres (8). » |