Bouquet
philosophique : Honorable
Jacqueline Foucher, en nous inclinant avec infiniment de respects
et d’admiration
devant le parangon du vainqueur que vous êtes, nous tenons d’abord à vous
remercier d’avoir accepté – assisté de votre infatigable
et dévoué mari – de répondre à nos questions.
Pouvez-vous nous parler de ce tragique Noël 1954, du début
de votre maladie ?
Jacqueline Foucher : En pleine nuit, l’ambulance
roule à vite allure ; chaque cahot me fait souffrir, mes
jambes sont paralysées. Nous venons de quitter le petit village
où mon mari est médecin et où, hier encore, j’étais
pharmacienne. Une belle maison entourée d’un magnifique
jardin servait de cadre à mon bonheur. Mère de deux enfants,
de 4 et 2 ans, jeune encore – j’ai 31 ans – je semblais
personnifier la santé. Et pourtant… C’est ainsi
que commence le récit de mon long combat contre la paralysie.
Le brancard sur lequel je suis étendue me semble si étroit qu’à tout
instant je m’attends à en tomber. Je respire vite, je suis oppressée,
j’ai peur. Dans mon esprit, les pensées se pressent. Mon mari
suit l’ambulance dans sa voiture car dans quelques heures au plus tard,
il faudra reprendre place auprès de ses malades et des enfants.
Enfin, l’hôpital. Après des formalités qui
me paraissent interminables, nous roulons jusqu’au pavillon des « contagieux ».
Chaleur étouffante, couloirs étroits dans lesquels on
a du mal à faire passer le brancard, chambre minuscule où gémit à côté de
moi une vieille femme. La paralysie progresse rapidement ; seuls
peuvent maintenant remuer mes avant-bras et mes mains. Mon corps devient
petit à petit une masse inerte et embarrassante que je ne contrôle
plus. L’interne, constatant que je respire de plus en plus difficilement,
fait libérer hâtivement la chambre du poumon d’acier
et j’y suis péniblement transportée. En proie à une
angoisse atroce, je sens l’asphyxie me gagner. Complètement
immobile maintenant, souffrant de tous les muscles d’une façon
qui ne peut se décrire, j’ai l’impression d’avoir été étroitement
ligotée. Je suis terrifiée de voir que les efforts que
je fais ne parviennent pas à déplacer, aussi peu que
ce soit, un bras ou une jambe, ni même une main, ni même
un doigt. Je sens que si l’on n’intervient pas immédiatement,
je vais mourir. De cela, j’ai pleine conscience. Laissée
seule dans ma chambre, je veux appeler, mais les cordes vocales elles-mêmes
sont paralysées et ma voix est à peine perceptible. Attentif
sans doute à ce qui se passe dans ma chambre, on m’entend
pourtant. Un grand remue-ménage se fait autour de moi et je
m’abandonne à ma souffrance…
Quand je me réveille, après des heures de cauchemars
dont je ne sais, aujourd’hui encore, quelle part appartenait
au rêve et quelle part à la réalité, ma
trachée a été ouverte et, par le moyen d’une
canule, deux étudiants en médecine, se relayant, envoient à mes
poumons l’oxygène nécessaire à ma vie. Je
me sens vraiment bien et calme. Malheureusement, ce bien-être
ne durera pas plus de quelques heures.
Bouquet
philosophique : L’équipement
hospitalier de l’époque était-il adapté à votre
cas ?
Jacqueline Foucher : Non, pas du tout !
En effet, l’expérience de ce traitement et le matériel
adéquat manquant alors complètement, j’endure mille
souffrances dont certaines me seraient sans doute maintenant épargnées.
Le tube introduit dans ma trachée me fait mal. Comme je ne peux
déglutir, je suis nourrie à l’aide d’une
sonde qui, introduite par le nez, est enfoncée jusqu’à l’estomac.
Je ne peux plus émettre un son et ne peux donc me faire comprendre.
Je suis toujours aussi complètement immobile. Je me sais atteinte
d’une forme de poliomyélite particulièrement grave
car je n’ignore pas qu’après la disparition des
deux fonctions de la respiration et de la déglutition, le cœur
lui-même s’arrêtera si la maladie progresse encore.
Je compte dix jours, à tort ou à raison, pour juger mon état
stabilisé et le risque de mort écarté. Les médecins,
les internes, les externes, les infirmières, tous d’un
grand dévouement, se succèdent sans arrêt à mon
chevet. J’ai une confiance absolue dans l’interne du service
qui me consacre des heures et se tient toujours prêt à intervenir,
allant parfois jusqu’à coucher dans une chambre à côté de
la mienne. Je ne dois mon salut qu’à son assistance tout à fait
remarquable.
Pendant des semaines, courageusement, les étudiants se relaient à mon
chevet, m’insufflant l’air dont j’ai besoin. Pas
un jour, pas une nuit ne s’achève sans qu’un accident,
plus ou mois grave mais toujours angoissant, ne survienne. L’hôpital
tout entier se sent concerné, depuis l’excellent directeur
et son adjoint jusqu’aux ouvriers de toutes spécialités,
et en particulier les plombiers et les électriciens. Puis comme
la paralysie respiratoire ne cède pas, l’hôpital
décide d’acheter un respirateur électrique entièrement
automatique, déjà en usage dans les pays où la
polio est beaucoup plus fréquente qu’en France. Les avantages
de cet appareil sont incontestables mais la terreur de voir la machine
s’arrêter – ce qui signifierait si personne ne se
trouvait à mes côtés, la mort en quelques minutes – m’obsède.
Bouquet
philosophique : Au début
de votre cruelle maladie, en connaissant les complications si souvent
mortelles à cette époque, n’avez-vous pas cédé au
découragement ? Quel était alors votre état
d’esprit ?
Jacqueline Foucher : J’ai accepté toutes
les souffrances quand il s’est agi de sauver ma vie, non pas
certes pour moi, pour qui la mort eût été une délivrance,
mais parce que je savais que personne ne peut remplacer une mère
auprès de ses enfants. Mais des semaines avaient passé depuis
le début de ma maladie et aucune amélioration ne se produisait.
On tentait bien de me faire respirer plusieurs fois par jour quelques
minutes mais sans méthode puisque l’on n’en connaissait
pas encore et je ne faisais aucun progrès.
Allais-je rester en cet état ?
Quelles raisons me restait-il de vivre ?
Mon mari, bien sûr, qui ne m’avait pour ainsi dire pas
quittée depuis le début de ma maladie, l’affection
de mes proches, quelques amis, mais de moi, il ne restait rien que
mon cerveau prisonnier d’un corps hostile. J’étais
non seulement tributaire en permanence de mon respirateur électrique
mais dépendante d’autrui pour tous les actes de la vie
courante. Les moustiques, car nous étions maintenant en été,
abondaient et je devais me résoudre à les laisser me
piquer sans pouvoir réagir. Avide de campagne, de bois et de
grands espaces, je n’avais pour horizon que les murs gris et
tristes de ma chambre. Innocente, je me voyais condamnée à la
prison perpétuelle.
Les conséquences de cette atteinte poliomyélitique d’une
extrême gravité étaient affreuses. La paralysie
respiratoire étant toujours totale, je ne pouvais quitter l’hôpital.
Mon foyer, qui avait été jusqu’alors la partie
essentielle de ma vie, était dispersé. Mon mari vivant
la plupart du temps à l’hôpital où il faisait
encore de rares consultations, la situation financière se faisait
de plus en plus difficile. Je voyais mes enfants assez souvent, mais
comme ils étaient très jeunes, j’avais vite cessé de
représenter quelque chose pour eux, ce qui était un déchirement
pour moi. Tout ce que je ressentais, j’essayais de le cacher
aux miens, autant par charité que parce qu’il me semblait
vain de leur faire partager mes pensées : j’étais
devenue un être à part qui n’avait plus rien de
commun avec les autres. Je pensais devenir folle. La seule pensée
qui m’apportât quelque répit était l’idée
de la mort qui eût été pour moi la seule possibilité de
sortir de cet enfer. Longtemps, je restai dans cet état d’esprit.
Bouquet
philosophique : Avec l’aide de
votre mari, pouvez-vous nous relater la lutte angoissante que vous
avez menée contre la maladie au cours de cet épisode
dramatique d’avril 1955, des moments durant lesquels vous avez
frôlé la mort ?
Dr André Foucher : Puisque Jacqueline
en a passé une grande partie dans le coma, je vais donc vous
raconter cet épisode. Assis sur un banc à l’extérieur
du pavillon où depuis quatre mois, ma femme lutte contre la
mort, je vis les moments les plus critiques de ce combat dont l’issue
fatale ne fait plus, hélas, aucun doute.
Jacqueline est en effet en train de mourir. Depuis quelque temps déjà,
la respiration, assurée par l’appareil électrique,
n’apportait plus à Jacqueline un équilibre respiratoire
suffisant. On avait l’impression que l’air n’entrait
plus que difficilement dans les poumons et en quantité insuffisante.
Les différents examens pratiqués par l’équipe
médicale n’apportaient aucun éclaircissement sur
les causes de cette dégradation respiratoire. La situation s’aggravait
de jour en jour et la malade ne pouvait plus s’alimenter qu’à grand
peine.
Vint un jour où la gêne respiratoire était devenue
telle que l’appareil s’avéra incapable de faire
pénétrer l’air dans les poumons. Jacqueline était
une fois de plus, mais beaucoup plus sérieusement que jamais,
au bord de l’asphyxie. On en revint donc au pompage de l’air à la
main qui permettait, au prix d’un effort physique important,
de faire pénétrer dans les poumons une quantité d’air
insuffisante pour une oxygénation normale mais encore suffisante
pour éviter l’asphyxie totale.
Malheureusement, si l’air pénétrait difficilement
dans les poumons, il en ressortait avec autant de difficulté et
l’on devait appuyer de toutes ses forces sur la poitrine pour éliminer
l’air chargé de gaz carbonique. Il fallait donc deux personnes,
déployant des efforts considérables, pour maintenir ce
qui n’était plus qu’une apparence de vie. La malade
avait en effet perdu connaissance, son corps était violacé et
froid. Seul le cœur continuait à battre normalement, autant
qu’on pouvait en juger dans cette situation dramatique.
Les internes et les externes se succédaient à la tâche épuisante
qui consistait à faire pénétrer l’air dans
les poumons. De l’autre côté du lit, j’appuyais
de tout le poids de mon corps sur le thorax pour expulser l’air
vicié. Chacun luttait avec l’énergie du désespoir
car la situation était bien, en effet, désespérée.
Nul n’osait interrompre ses efforts dont on sentait bien, pourtant,
qu’ils étaient parfaitement inutiles : le visage
sans vie de ma femme, son corps glacé, sa peau maintenant presque
noire, tout criait que nous étions cette fois définitivement
vaincus.
L’interne du service qui avait pourtant lutté pendant
des mois avec tant d’énergie, avait quitté la chambre,
se refusant sans doute à assister à l’agonie de
celle qu’il avait tant de fois sauvée. Peut-être
aussi ne pouvait-il se résoudre à me dire franchement : « M.
Foucher, c’est fini, nous ne pouvons plus rien. » J’avais
moi-même atteint un tel degré dans la conscience de l’inutilité de
nos efforts que bientôt l’image de la mort présente
s’imposa à moi.
Je me souviens même avoir eut la vision du petit cimetière
de notre village où dans quelques jours Jacqueline reposerait à jamais.
Mais cette vision me fût tellement insupportable que je me révoltai
contre la fatalité de la mort à laquelle je m’étais
résigné quelques minutes auparavant. Laissant à un
externe la tâche d’appuyer sur le thorax, je traversai
presque en courant les quinze ou vingt mètres qui séparaient
la chambre de Jacqueline du bureau dans lequel je trouvai l’interne
désemparé, la tête entre les mains : « Ma femme
est en train de mourir, mon vieux, il faut faire quelque chose – Mais
quoi ? – La mettre dans le poumon d’acier – Mais
vous savez bien, M. Foucher, que la chose est impossible à cause
de la trachéotomie et de la canule. »
Oui, c’était impossible. Mais je ne pouvais me résoudre à penser
que l’interne ne trouverait pas, une fois encore, l’astuce
technique qui mettrait en échec, une nouvelle fois, la mort.
C’est ce que je lui dis et son hésitation fût de
courte durée. En quelques instants, qui me parurent pourtant
un siècle, il se décida à tenter l’impossible.
Quant à moi, au bord de l’épuisement physique et
moral, je sortis m’asseoir sur un banc. Je fus tiré de
cet état de prostration par la voix puissante de l’interne
qui, ayant retrouvé tout son tonus, me cria : « Venez,
M. Foucher, elle est sauvée. »
Je me précipitai dans la chambre du poumon d’acier d’où sortait,
en effet, le visage souriant et redevenu normal, de ma femme. Comment
Jacqueline avait-elle pu revenir de ce lointain voyage aux frontières
de la mort ? C’est par l’un des hublots du poumon
d’acier que l’interne avait eu l’idée de faire
passer un tube de caoutchouc relié à la canule. Ce tube
devait permettre soit, éventuellement de continuer l’insufflation à la
main, soit d’aspirer les mucosités qui probablement avaient
encombré tout l’appareil respiratoire. Toujours est-il
qu’après quelques compressions seulement du poumon d’acier,
une grande quantité de mucosités était rejetée,
ce qui permettait à l’air d’entrer à nouveau
librement dans les poumons et d’en sortir tout aussi aisément.
Ainsi s’achevait au milieu de la joie de tout le personnel médical
et paramédical l’épisode le plus tragique de cette
lutte contre la paralysie respiratoire, si l’on excepte, bien
entendu, l’accident respiratoire initial qui avait imposé la
trachéotomie pour sauver, une première fois, la malade
de la mort.
Bouquet
philosophique : Onze mois après
le début de votre maladie, un médecin décida de
commencer une rééducation respiratoire. Cette expérience
vous a-t-elle redonné espoir ?
Jacqueline Foucher : Bien sûr mais ce
mot « rééducation », plein d’espoir pour
le malade privé seulement de l’usage de ses membres, devint
pour moi synonyme d’enfer, d’enfer physique succédant à l’enfer
moral que je venais de traverser. Les trois minutes que je devais,
au début, passer sans mon appareil me paraissaient interminables.
Je n’étais rebranchée au respirateur qu’à la
dernière extrémité. Ma tension artérielle
montait considérablement ; le visage violacé, le
corps baigné de sueur, j’avais l’impression qu’on
me plongeait la tête sous l’eau pour me noyer. Toutes les
heures, les fatigues du précédent exercice à peine
dissipées, la même indispensable torture devait recommencer.
Des semaines s’écoulèrent et j’atteignis
une heure de respiration autonome. Parallèlement à la
rééducation respiratoire, un masseur essayait de rééduquer
mes membres. Mais seuls l’avant-bras et la main gauches reprenaient
un peu de vie. Je parvins pourtant à tourner les pages d’un
livre : j’avais enfin trouvé à m’occuper
et retrouvé un peu d’indépendance.
Les progrès respiratoires continuèrent et vint un jour
où je pus respirer toute la journée. Malheureusement,
suite à une sténose de ma trachée qui vint anéantir
huit mois d’efforts, il me fallait, une fois encore, renoncer à tout
espoir. Et pourtant, un jour, on trouva enfin les dilatateurs qui convenaient
pour dilater cette sténose. Après cette période
de difficultés et de désespoir, il fallait donc reprendre
la rééducation respiratoire qui se fit heureusement très
rapidement. Je respirais avec plus de facilité qu’auparavant
et j’espérais bien récupérer mon entière
autonomie respiratoire, y compris la nuit car je n’avais, au
cours de ma précédente rééducation, respiré qu’en état
de veille.
Pour se faire, j’essayais de dormir sans mon appareil une moitié de
la nuit d’abord. Hélas, cela m’était très
pénible et malgré une relaxation mentale et des somnifères,
je n’arrivais pas à trouver le sommeil. Terrassée
par la fatigue, je finissais bien par m’endormir mais ma respiration
n’étant plus automatique comme chez une personne normale,
et seulement volontaire, s’arrêtait dès que je perdais
conscience et je me réveillais en sursaut, en état d’asphyxie.
Dix fois, vingt fois, l’expérience fut répétée,
sans résultat. Il fallut se rendre à cette évidence :
jamais plus, je ne pourrai me passer totalement d’un respirateur.
Bouquet
philosophique : Avez-vous perçu
le retour à la maison comme une amélioration de votre état ?
Jacqueline Foucher : Dans un certain sens, oui.
Atteinte dans mon moral par cet échec, je l’étais
aussi par le fait que des malades, arrivés bien longtemps après
moi dans le service, en repartaient, sinon guéris, du moins
très améliorés et avec l’espoir d’une
guérison, presque complète, espoir qui m’était
désormais entièrement interdit. Dans ces conditions,
le séjour à l’hôpital, non seulement ne pouvait
plus, sur le plan physique, m’apporter d’amélioration,
mais, sur le plan moral, ne pouvait amener qu’une lente dégradation
et un profond désespoir, du fait surtout que mon mari allait
devoir s’occuper seul de nos deux jeunes enfants.
C’est pourquoi mon mari, sachant que des cas semblables avaient été heureusement
solutionnés par le retour à la maison, envisagea cette « hospitalisation à domicile »,
expression devenue maintenant familière. Mais ceci nécessitait
un matériel coûteux et de fonctionnement délicat,
un personnel compétent de jour et de nuit, une maison comportant
des aménagements spéciaux et onéreux. En fin de
compte, il ne fallut pas moins d’un an pour résoudre tous
les problèmes. Et le jour vint où je sortis de l’hôpital
après y avoir passé trois ans et demi…
Après quelques mois d’organisation, je pouvais « prendre
en mains » (si j’osais m’exprimer ainsi) la conduite
de la maison : conseiller les personnes chargées de ma
surveillance, instruire et éduquer les enfants et régler
les affaires courantes en l’absence de mon mari. Celui-ci, de
son côté, assurait la surveillance et l’entretien
de mes appareils respiratoires (l’habituel et ceux de secours),
celle des systèmes d’alarme indispensable à ma
sécurité, ainsi que l’approvisionnement permanent
en air comprimé, toutes tâches qui nécessitent
en milieu hospitalier, un personnel nombreux et spécialisé.
Il essayait enfin de me redonner dans ma paralysie quasi totale, la
plus grande autonomie possible. C’est ainsi qu’entre autres,
il a pu m’acheter, non sans peine, une machine à écrire électrique
qui m’a permis d’écrire le récit de mon long
combat contre la paralysie.
Bouquet
philosophique : Un livre que
vous avez intitulé Le vase brisé ! Pourquoi
ce titre et quel est l’objectif de cette publication ?
Dr André Foucher : Non pas, bien sûr,
pour susciter la pitié ni pour faire étalage du courage
de la malade, sans lequel pourtant ces pages n’auraient pu être écrites.
Mais simplement pour tenter d’aider tous ceux qu’une grande épreuve,
quelle qu’en soit la nature, pourrait atteindre, à comprendre
qu’en dépit des apparences, rien n’est jamais définitivement
perdu et qu’au contraire, beaucoup d’espoir peut naître
de beaucoup de souffrances.
En effet, quelle image évoquait notre vie avant le drame ?
Celle d’un très beau vase qui faisait l’admiration
ou l’envie de beaucoup. Mais ce vase, parce qu’il était
très fragile, s’est brisé en un instant, de façon
irrémédiable, nous sembla-t-il. Cependant, nous avons
tenté au cours de ces longues années et avec l’aide
de beaucoup de le réparer. Et nous y sommes pour l’essentiel
parvenus.
Le foyer, dispersé pendant plus de trois ans par l’effroyable
maladie, a été reconstitué. Les enfants ont été réunis
et ont retrouvé leurs parents. Pourtant, rien n’était
plus comme avant. Le vase n’avait plus son apparente beauté primitive.
Mais qu’importe ! Un vase peut, en effet, être beau
par lui-même et cela peut parfois suffire. Mais combien plus
souvent gagne-t-il par les fleurs dont on l’orne et qui le font
presque oublier ? Ainsi, en a-t-il été pour nous :
du jour au lendemain, le sens de notre vie a été bouleversé,
l’échelle des valeurs renversée.
Bouquet
philosophique : Avez-vous reçu
beaucoup de témoignages de sympathie et d’encouragement
suite à la diffusion de votre livre ?
Jacqueline Foucher : Oui, incontestablement.
D’ailleurs, plus d’une trentaine de ces messages provenant
des quatre coins du monde ont été publiés à la
suite de mon récit. Il faut dire que Le vase brisé a
connu quatre éditions et que la troisième a été envoyée
et lue en français, anglais, allemand et espagnol dans plus
de 50 pays. Des enregistrements sur bandes magnétiques et des
transcriptions en braille ont également été réalisés.
Bouquet
philosophique : Dr Foucher,
comment avez-vous pu tenir bon durant tant d’années au milieu
d’incessantes difficultés matérielles et morales ?
Dr André Foucher : D’abord naturellement
parce que la solidarité, silencieusement mais efficacement,
est intervenue à maintes reprises pour atténuer les difficultés
financières. Ensuite, sur le plan moral, parce qu’en regardant
jour après jour ma femme, immobile mais si vivante, j’ai
compris l’absolue vérité des paroles du Dr Corbineau : « C’est
nous, si souvent sceptiques, désabusés, sans espoir,
c’est nous qui sommes les infirmes. Puissions-nous nous relever
et vous suivre. »
Et, au fil des témoignages
qui suivent le récit du drame,
apparaît cette certitude : alors que beaucoup se posent
la question de la justification de pareilles survies, cette inertie
physique n’est plus l’élément primordial ;
avant tout, c’est le rayonnement de la force psychique qui, non
seulement, impose le respect de la vie, mais encore redonne à ceux
qui momentanément doutent, le courage et l’espoir, chaque
jour si nécessaire à chacun. L’épreuve qui
peut s’abattre, tôt ou tard, sur chacun d’entre nous
ne doit donc pas être considérée comme un injuste
et mauvais coup du sort, mais comme un tremplin vers quelque chose
de meilleur.
Bouquet
philosophique : Sous assistance
respiratoire permanente, allongée sur votre lit de douleur depuis plus de
50 ans, Jacqueline Foucher, quel est le secret de votre patiente résignation
? Où puisez-vous votre force physique et une telle résistance
morale vous permettant de vaincre chaque jour la maladie et le désespoir ?
Jacqueline Foucher : Certes,
la compétence
et le grand dévouement des médecins, internes, externes,
infirmières et gardes-malades qui, depuis le début de
ma maladie, se sont succédés sans relâche à mon
chevet, le soutien permanent de mon mari, l’affection de mes
proches et de quelques amis, ont, avant tout, contribué à maintenir
tout au long des années, cette résistance morale. Par
ailleurs, ma bonne consistance physique m’a aidée, indéniablement.
Mais ce qui m’a permis de dominer mon mal, d’avoir la force
de vivre, c’est surtout ma foi en Dieu, en Jésus-Christ,
mon Rédempteur, que je prie régulièrement et notamment
quand je suis dans le désespoir ou la tristesse. Je crois en
la résurrection et à l’éternité promise
où il n’y aura plus, ni souffrances, ni mort. Je sais
que ces souffrances présentes – qui ne semblent pas inutiles – sont
temporaires.
Bouquet
philosophique : En septembre
1996, lors de sa venue en France, vous avez eu l’honneur de vous entretenir
avec le pape Jean-Paul II qui vous a bénie et imposé les
mains. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur cette rencontre exceptionnelle ?
Jacqueline Foucher : Transportée avec
beaucoup de gentillesse et de délicatesse par des jeunes, j’ai été placée
au premier rang de la basilique où le St Père est venu
effectivement s’entretenir quelques minutes avec moi avant de
me bénir. Rempli de compassion, celui-ci a écouté non
sans étonnement le résumé de ma vie. C’est
alors que j’ai senti son regard me pénétrer avec
beaucoup de bonté. Quand je suis triste ou que j’ai des
soucis, je pense souvent à cette rencontre et me revois devant
lui en train de me bénir. Un souvenir qui me porte dans les
moments difficiles.
Bouquet
philosophique : Après
tant d’années
de valeureux combat contre la paralysie, quel message donneriez-vous à tous
ceux qui connaissent la souffrance ?
Jacqueline Foucher : D’oublier la souffrance
et de se propulser dans l’avenir… de s’emparer
de l’espérance !
Bouquet
philosophique : En
cette fin d’année
2005, quels sont vos souhaits ?
Jacqueline Foucher : Ne voulant plus jamais
retourner à l’hôpital, je souhaite surtout une présence
humaine auprès de moi ainsi qu’un soutien mutuel constant
pouvant s’exprimer aussi par la prière. Je commence à être
fatiguée et suis prête à partir vers Dieu (1).
|