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A propos de l’espérance au temps de l’Ancien Testament
 
 

« Il n’y a de bien en cette vie qu’en l’espérance d’une autre vie (1) »
(Blaise Pascal)

 
 

Au regard de l’espérance lumineuse qui fait courir les chrétiens aujourd’hui, celle des hommes de l’Ancien Testament paraît bien terne ! On peut en effet être surpris que l’auteur du livre de l’Ecclésiaste – qui se présente comme un sage sous les traits du roi Salomon – reconnaisse avec lucidité et grande vénération que Dieu a « implanté au tréfonds de l’être humain le sens de l’éternité » (Ecclésiaste 3.11, La Bible du Semeur)… avant de confesser finalement l’aspect décevant de la vie humaine qui s’achève par la vieillesse et la mort (Ecclésiaste 12.1-7, 3.19-20) !

Paradoxalement, tandis que depuis longtemps les adeptes de certaines religions polythéistes de l’ancien Orient croient fermement à la résurrection et à une vie future, les enfants d'Israël, eux, s’ouvrent en dernier à cette croyance… et semblent voués inexorablement à la désespérance quant à l’au-delà ! Ce n’est en fait que tardivement (vers le VIe siècle av. J.-C.) qu’ils découvrent – ou redécouvrent (2) – progressivement l’idée d’éternité. Un comble pour le peuple qui deviendra celui de l’espérance ! Attardons-nous un instant sur ces questions.


Une vision d'éternité commune à tous les peuples anciens

La croyance en une « survie de l’individu » après la mort semble remonter aux origines de l’espèce humaine et de tout temps, dans toutes les civilisations, ce qui peut paraître étonnant, une grande majorité s’est ralliée à l’idée que l’homme est immortel par nature.

« Ce qui est commun aux religions [écrit le scientifique et ancien ministre Claude Allègre], c’est qu’elles ont toutes développé le concept de dieu, de transcendance et d’au-delà, faisant toutes espérer aux meilleurs l’immortalité (3). »

Plus de 2000 ans av. J.-C., l’Egypte pharaonique est certainement l’une des premières civilisations à s’édifier dans la perspective de l’éternité. Les Egyptiens en effet, tout en reconnaissant la brièveté du temps terrestre, croient en une autre forme d’existence. Osiris, mort et ressuscité, devenu dieu de l’au-delà, leur apporte l’assurance d’une survie éternelle.

Environ 13 siècles plus tard, sur la base d'une espérance similaire, le philosophe persan Zoroastre (fondateur du zoroastrisme, ancienne religion de la Perse) promet à ses disciples l’avènement d'un sauveur suprême, Saoshyant, qui présidera à la résurrection et à l’émergence d'une vie éternelle après la mort. Notons que le zoroastrisme, religion dualiste fondée sur la lutte permanente entre un Dieu bon (Ahura Mazda) et un démon (Ahriman) enseigne aussi le libre arbitre, le jugement final, l’enfer, le paradis et la victoire finale du bien sur le mal. Ce qui représente, soit dit en passant, une sorte de préfiguration du christianisme… en tout cas, une incontestable révolution religieuse au début du VIIe siècle av. J.-C. !

Curieusement donc, en ce qui concerne cette idée de survie post mortem, les Hébreux restent imperméables à toute influence, égyptienne notamment. Face à la vision d'éternité commune à beaucoup de religions antiques, ils ne se lassent pas de nourrir une vague espérance dont ils semblent se satisfaire, mais qui toutefois se précise graduellement au cours des siècles.


De l’espérance terrestre à l’espérance céleste

Ce n’est en effet qu’à l’époque – VIe siècle av. J.-C. – de la rédaction du livre de Daniel (4) que le peuple juif, arrive enfin à croire peu à peu en la résurrection et en une vie après la mort. Durant de très nombreux siècles, étonnamment celui-ci se contente d’une espérance terrestre sans vision d’éternité (5), ou tout au plus d’une espérance en une survie nationale.

Tout d’abord, une espérance à courte vue

Ainsi, pendant longtemps, c’est le modèle de la rétribution – strictement terrestre – qui dicte la pensée des enfants d'Israël. Ceux-ci croient que Dieu « rétribue » ici-bas les hommes selon leurs actes, autrement dit que les justes sont récompensés par une longue vie tranquille et prospère tandis que les pécheurs sont condamnés à une vie malheureuse, courte et sans descendance… en attendant avec frayeur – justes comme pécheurs, d’ailleurs – le sort qui les attend, le sheol (6) où tous resteront abandonnés à jamais.

Mentionnons à cet égard quelques textes bibliques attestant cette espérance à courte vue : « Les jours de nos années s’élèvent à soixante-dix ans, et pour les plus robustes, à quatre-vingts ans. […] Enseigne-nous à bien compter nos jours, […] Rassasie-nous chaque matin de ta bonté, et nous serons toute notre vie dans la joie et l’allégresse. Réjouis-nous autant de jours que tu nous as humiliés, autant d’années que nous avons vu le malheur » (Psaume 90.10-15) ; « Donne-nous encore des jours comme ceux d'autrefois ! » (Lamentations 5.21) ; « Soutiens-moi pour que je vive, tu l’as promis, ne déçois pas mon espérance » (Psaume 119.116, BFC) ; « Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront tous les jours de ma vie, et j’habiterai dans la maison de l’Eternel jusqu’à la fin de mes jours » (Psaume 23.6).

Comme il se dégage de nombreux passages de l’Ancien Testament, Dieu – dans un premier temps – répond à ses enfants sans leur proposer davantage : « Je te sauverai, et tu ne tomberas pas sous l'épée, ta vie sera ton butin, parce que tu as eu confiance en moi, dit l’Eternel » (Jérémie 39.18) ; « Celui qui m’écoute […] vivra tranquille et sans craindre aucun mal » (Proverbes 1.33) ; « Il m'invoquera, et je lui répondrai, je serai avec lui dans la détresse. Je le délivrerai et je le glorifierai. Je le rassasierai de longs jours, et je lui ferai voir mon salut » (Psaume 91.15-16) ; « N’oublie pas mes enseignements, […] car ils prolongeront les jours et les années de ta vie, et ils augmenteront ta paix » (Proverbes 3.1-2) ; « Ils [les justes] ne sont pas confondus au temps du malheur, et ils sont rassasiés aux jours de la famine » (Psaume 37.19) ; « Ceux qui espèrent en l’Eternel posséderont le pays » (Psaume 37.9) ; « Aimez le Seigneur votre Dieu, obéissez-lui, restez-lui fidèlement attachés, c’est ainsi que vous pourrez vivre et passer de nombreuses années dans le pays que le Seigneur a promis de donner à vos ancêtres Abraham, Isaac et Jacob » (Deutéronome 30.20, BFC)… Pour ne citer que ces versets !

Remise en cause de la théologie de la rétribution

Bien que la croyance en la rétribution soit historiquement ancrée dans la réalité quotidienne du peuple d’Israël, certains en voyant « le bonheur des méchants » (Psaume 73.3) – ou en quelque sorte, l’inversion de cette théorie de la rétribution – ont du mal à comprendre la justice de Dieu et se mettent à réfléchir. C’est le cas du roi David (Psaume 37) et du psalmiste Asaph (Psaume 73).

Job, héros des temps anciens, fait aussi partie de ceux qui osent remettre en cause la croyance classique (Job 12.13-25). « Contre cette corrélation rigoureuse [la liaison entre la souffrance et le péché personnel], Job s’élève avec toute la force de son innocence. Il ne nie pas les rétributions terrestres, il les attend, et Dieu les lui accordera finalement […] Mais c’est pour lui un scandale qu’elles lui soient refusées présentement et il cherche en vain le sens de son épreuve. Il lutte désespérément pour retrouver Dieu qui se dérobe et qu’il persiste à croire bon (7). »

Dans l’un de ses « grands textes », il arrive finalement à la conclusion que le bien et le mal ont leur sanction outre-tombe plutôt qu’ici-bas, une avancée théologique considérable ! C’est ainsi qu’au-delà de l’espoir d’être délivré de ses maux en ce monde, il ose affirmer – certes, de façon imprécise, la traduction de ce passage reste difficile – son espérance en la résurrection : « Pour ma part, je sais que celui qui me rachète est vivant et qu'il se lèvera le dernier sur la terre. Quand ma peau aura été détruite, en personne je contemplerai Dieu. C’est lui que je contemplerai, et il me sera favorable. Mes yeux le verront, et non ceux d'un autre » (Job 19.25-27).

L'espérance collective, une perspective nouvelle pour Israël

Pour d’autres hommes de l’Ancien Testament également confrontés à l’injustice, l’espérance individuelle se mue alors en espérance collective. Si la réussite des méchants offre un spectacle révoltant, « le Seigneur s’intéresse à la vie de ceux qui sont irréprochables, le pays dont ils sont les héritiers leur est acquis pour toujours » (Psaume 37.18, BFC). Au VIIIe siècle av. J.-C., le prophète Esaïe à même l’intuition que son peuple « ressuscitera » : « Mon peuple, tes morts reprendront vie, alors les cadavres des miens ressusciteront ! Ceux qui sont couchés en terre se réveilleront et crieront de joie » (Esaïe 26.19, BFC). Vers la même époque, Osée, un autre porte-parole de Dieu, invite Israël à se repentir et évoque l’espérance d’une rénovation nationale : « Venez, retournons à l’Eternel ! Car il a déchiré, mais il nous guérira. Il a frappé, mais il bandera nos plaies. Il nous rendra la vie […] il nous relèvera, et nous vivrons devant lui » (Osée 6.1-2).

Mais c’est en réalité la grande épreuve de la déportation à Babylone qui amène les Juifs à s’interroger sur la « juste rétribution » de Dieu. En cette période particulièrement troublée, le prophète Jérémie (né vers le milieu du VIIe siècle av. J.-C.), toujours soucieux du bien de ses compatriotes, se demande pourquoi ceux-ci lui manifestent tant de haine : « Seigneur, tu es trop juste pour que je m’en prenne à toi. Pourtant, j’aimerais discuter de justice avec toi. Pourquoi le chemin des méchants les mène-t-il au succès ? Et ceux qui te sont infidèles, pourquoi vivent-ils tranquilles ? » (Jérémie 12.1, BFC).

« Au-delà de la ruine qu’il voit approcher pour le peuple infidèle, il [Jérémie] entrevoit une sorte de résurrection dans le cadre d’une nouvelle alliance avec Dieu [le retour des survivants d’Israël et la reconstruction de Jérusalem, chapitre 31 de son livre]. Il témoigne alors de sa confiance en la victoire de Dieu par un surprenant geste d’espoir [l’acquisition d’un champ, acte symbolique, chapitre 32] (8). »

Après le châtiment, il y aura donc un rétablissement, un avenir pour le peuple de Dieu… de quoi raviver l'espérance : « Je rétablirai le peuple de Juda et le peuple d’Israël, et je les rétablirai dans leur ancienne situation » (Jérémie 33.7, BFC). « Je multiplierai les descendants de mon serviteur David […] ils seront aussi nombreux que les étoiles qu’on ne peut compter dans le ciel » (Jérémie 33.22, BFC).

Quant à Ezéchiel – contemporain comme Jérémie de la chute de Jérusalem (587 av. J.-C.) –, il est l’un des rares prophètes de l’Ancien Testament à proclamer aussi explicitement qu'il y a une espérance pour Israël… en dépit des circonstances dramatiques de l’époque ! Ainsi, dans sa célèbre vision des ossements desséchés (Ezéchiel 37.1-14), la renaissance de la nation d’Israël s’exprime pleinement. Bien qu’il s’agisse là plutôt d’une promesse de survie collective pour le peuple d’Israël, autrement dit d’une « résurrection nationale », on peut y voir en outre l'amorce de l'idée de résurrection individuelle. Citons quelques extraits de ce passage intéressant : « Voici ce que dit le Seigneur, l'Eternel : Esprit, viens des quatre vents, souffle sur ces morts et qu'ils revivent ! […] Je vais ouvrir vos tombes et je vous en ferai sortir, vous qui êtes mon peuple, et je vous ramènerai sur le territoire d'Israël » (Ezéchiel 37.9-12).

En route vers l'espérance céleste

En fait, le point de départ – discret – de ce lent cheminement vers le ciel peut être relevé dans le livre des Psaumes où certains versets portent en germe la notion de résurrection : « Non, Seigneur, tu ne m’abandonnes pas à la mort, tu ne permets pas que moi, ton fidèle, je m’approche de la tombe. Tu me fais savoir quel chemin mène à la vie. On trouve une joie pleine en ta présence, un plaisir éternel près de toi » (Psaume 16.10-11, BFC) ; « Eternel, tu as fait remonter mon âme du séjour des morts, tu m’as fait revivre loin de ceux qui descendent dans la tombe » (Psaume 30.4) ; « Dieu sauvera mon âme du séjour des morts » (Psaume 49.16) ; « Ta bonté envers moi est grande, et tu délivres mon âme des profondeurs du séjour des morts » (Psaume 86.13) ; « C’est lui qui délivre ta vie de la tombe, qui te couronne de bonté et de compassion » (Psaume 103.4).

Mais c’est surtout le livre de Daniel, qui nous éclaire un peu plus sur l’évolution de la conception de l’au-delà chez les Juifs. C’est bien d’une résurrection personnelle suivie d’une vie éternelle que les justes hériteront : « A cette époque-là [pouvons-nous lire dans Daniel 12.1-3] se dressera Michel, le grand chef, celui qui veille sur les enfants de ton peuple. Ce sera une période de détresse telle qu'il n'y en aura pas eu de pareille depuis qu’une nation existe jusqu'à cette époque-là. A ce moment-là, ceux de ton peuple qu’on trouvera inscrits dans le livre seront sauvés. Beaucoup de ceux qui dorment dans la poussière de la terre se réveilleront, les uns pour la vie éternelle, les autres pour la honte, pour l'horreur éternelle. Ceux qui auront été perspicaces brilleront comme la splendeur du ciel, et ceux qui auront enseigné la justice à beaucoup brilleront comme les étoiles, pour toujours et à perpétuité. »

Cependant, ce n’est vraiment qu’à partir du deuxième siècle avant Jésus-Christ que l’espérance en la résurrection devient une réalité pour le peuple juif. A la mort d’Alexandre le Grand, la Palestine « passe sous l’autorité des monarchies hellénistiques, des Lagides d’Egypte d’abord, puis des Séleucides de Syrie. La politique d’hellénisation radicale instaurée par Antiochus IV Epiphane (175-164 av. J.-C.), doublée d’une intolérance agressive vis-à-vis des Juifs, suscite un grand mouvement de révolte. Ce mouvement, à la fois national et religieux, est conduit par le prêtre Mattathias et son fils Judas, dit Maccabée. […] Antiochus IV s’efforce d’imposer aux Juifs les mœurs et la religion grecques. La pratique du judaïsme devient passible de mort (9) ».

Dans ce contexte de résistance et de répression féroce – où le dogme de la rétribution ici-bas est tragiquement mis en échec –, les nombreux martyrs, fidèles à la loi de Moïse, s’interrogent sérieusement sur la justice divine. Torturés et mis à mort pour leur foi, ils finissent par croire réellement que Dieu les ressuscitera et que leur rétribution sera d’outre-tombe.

Le deuxième livre des Maccabées, probablement écrit vers 120-100 av. J.-C., décrit justement l’héroïque résistance de sept frères « Maccabées » et de leur mère (modèles des premiers martyrs juifs) qui préfèrent être torturés à mort plutôt que de toucher à la viande de porc interdite par la loi. Citons ici quelques versets de ce livre deutérocanonique de l'Ancien Testament témoignant de cette foi naissante en la résurrection :

« Au moment de rendre le dernier soupir, il [le second supplicié] dit : Scélérat que tu es, tu nous exclus de la vie présente, mais le roi du monde, parce que nous serons morts pour ses lois, nous ressuscitera pour une vie éternelle » (2 Maccabées 7.9, TOB).

« On soumit le quatrième aux mêmes tortures cruelles. Sur le point d’expirer, il dit : Mieux vaut mourir de la main des hommes en attendant, selon les promesses faites par Dieu, d’être ressuscité par lui » (2 Maccabées 7.13-14, TOB).

« Eminemment admirable et digne d’une excellente renommée fut la mère, qui voyait mourir ses sept fils en l’espace d’un seul jour et le supportait avec sérénité, parce qu’elle mettait son espérance dans le Seigneur. Elle exhortait chacun d’eux dans la langue de ses pères. Remplie de nobles sentiments et animée d’un mâle courage, cette femme leur disait : Je ne sais pas comment vous avez apparu dans mes entrailles ; ce n’est pas moi qui vous ai gratifiés de l’esprit et de la vie, […] Aussi bien le Créateur du monde, qui a formé l’homme à sa naissance et qui est à l’origine de toute chose, vous rendra-t-il dans sa miséricorde et l’esprit et la vie, parce que vous vous sacrifiez maintenant vous-mêmes pour l’amour de ses lois » (2 Maccabées 7.20-23, TOB).

Enfin, on peut mentionner le livre de la Sagesse, autre apocryphe rédigé vers la même époque (Ier siècle av. J.-C.) dans lequel on trouve, quoique de façon larvée, le thème de la résurrection : « Les âmes des justes, elles, sont dans la main de Dieu et nul tourment ne les atteindra plus. Aux yeux des insensés, ils passèrent pour morts, et leur départ sembla un désastre, […] Pourtant, ils sont dans la paix. Même si, selon les hommes, ils ont été châtiés, leur espérance était pleine d’immortalité » (Sagesse 3.1-4, TOB).

Comme le remarque Jean Civelli, prêtre à Fribourg (Suisse), « cette idée d’une résurrection des morts ne devait plus s’oublier dans le judaïsme. Ce sont les Pharisiens qui la recueillirent, contrairement au parti des Sadducéens, parti des prêtres et de la noblesse du Temple de Jérusalem, qui, eux, n’acceptèrent pas ce qu’ils considéraient comme une doctrine fausse, car ils ne la trouvaient pas dans la Loi de Moïse (cf. Marc 12.18 et Actes 23.8). […] Le sceau définitif de cette foi en la résurrection sera donné par Jésus lui-même, dans sa propre résurrection (10) ».

« La croyance en la résurrection, qui va se développer dans le monde sémitique, [affirme de son côté, Marie Lucien, docteur en théologie de l'Université de Strasbourg] apparaît comme une nouveauté radicale et impressionnante […] La résurrection personnelle de chaque homme deviendra alors l’espérance commune aux trois religions monothéistes issues du monde sémitique, le judaïsme, le christianisme et l’islam (11). »


La grâce au temps de l’Ancien Testament

Nous ne saurions terminer ce rapide exposé sans dire quelques mots sur la question de la grâce avant le Christ. Les Ecritures nous apprennent que les sacrifices d'animaux de l’Ancien Testament (12) – ne pouvant satisfaire les exigences de la justice divine – annoncent et préfigurent le sacrifice parfait du Christ sur la croix… seul moyen agréé par Dieu pour le salut de l’homme : « Personne ne sera reconnu juste aux yeux de Dieu pour avoir obéi en tout à la loi ; la loi permet seulement de prendre connaissance du péché. Mais, maintenant, Dieu nous a montré comment il nous rend justes devant lui, et cela sans l’intervention de la loi. […] Dieu rend les hommes justes à ses yeux par leur foi en Jésus-Christ. […] Dieu l’a offert comme un sacrifice afin que, par sa mort, le Christ obtienne le pardon des péchés en faveur de ceux qui croient en lui. Dieu a montré ainsi qu’il est toujours juste : il l’était autrefois quand il a patienté et laissé impunis les péchés des hommes, il l’est dans le temps présent » (Romains 3.20-26, BFC).

A l’époque de l’Ancien Testament, tous ceux qui se tournaient vers Dieu en sacrifiant des animaux étaient réellement sauvés par le sacrifice rédempteur du Christ, bien que celui-ci n’ait pas encore été accompli. « Sa mort étant intervenue pour le rachat des transgressions commises sous la première alliance, ceux qui sont appelés reçoivent la promesse de l’héritage éternel » (Hébreux 9.15, TOB).

« Bien avant la crucifixion, c’est déjà la croix qui sauvait les hommes d’un jugement immédiat (13) » écrit Richard Doulière. « Les croyants de l’Ancien Testament ont cru en Christ par anticipation et ont été sauvés, même s’ils n’ont pas connu le nom de Jésus ni les détails de son existence terrestre (14). » La grâce de Dieu – aussi ancienne que la loi – permet de la sorte aux hommes de tous les temps d’espérer.

*

Après avoir ainsi esquissé à grands traits l’histoire de l’espérance religieuse en Israël, une question demeure cependant : pourquoi cette dernière est restée si longtemps une piètre espérance… avant que finalement le Nouveau Testament ne la porte à son plus haut degré ? A défaut de pouvoir répondre ici avec certitude à cette question, nous voulons par contre dire toute notre admiration pour les hommes de l’Ancien Testament ayant fait le bon choix de faire confiance à Dieu et de marcher avec lui en se contentant de sa faveur et de l’assurance du pardon de leurs péchés… portés seulement par l’espérance d’une longue vie prospère – ici-bas – et en dépit du système simpliste des rétributions temporelles ne fonctionnant pas toujours.

Alors que nous, hommes et femmes du XXIe siècle, avons maintenant pour la plupart librement accès à la connaissance de l’Evangile et de sa promesse de vie (antécédent de la foi), alors que nous pouvons nous enorgueillir de cette belle espérance solidement ancrée dans la résurrection de Jésus-Christ – ce qui ne nous laisse plus aucune excuse pour notre incrédulité –, puissions-nous effectivement admirer ces anciens héros de la foi… d’autant plus que leurs louanges étaient adressées à un Dieu qu’ils n’imaginaient pas si généreux comme le montrent ces quelques passages de l’Ancien Testament : « Je chanterai l’Eternel tant que je vivrai, je célébrerai mon Dieu tant que j’existerai » (Psaume 104.33) ; « Voici ce que je veux repasser en mon cœur, ce qui me donnera de l'espérance : les bontés de l’Eternel ne sont pas épuisées, ses compassions ne sont pas à leur terme, elles se renouvellent chaque matin. […] L’Eternel est mon partage, dit mon âme, c’est pourquoi je veux espérer en lui » (Lamentations 3.21-24).

 
Claude Bouchot
 
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1. Blaise Pascal, Pensées de Pascal sur la religion et sur quelques autres sujets, Paris : Garnier Frères, 1872, p. 60.
2. En effet, il est raisonnable de penser qu’Adam et les premiers patriarches bénéficièrent déjà d’une révélation divine particulière concernant l’au-delà qui leur était réservé. En tout cas, l’auteur de l'épître aux Hébreux en est convaincu lorsqu’il fait l'éloge de la foi des ancêtres illustres tels qu’Abel, Hénoc, Noé et Abraham : « C’est dans la foi que tous ces hommes sont morts. Ils n’ont pas reçu les biens que Dieu avait promis, mais ils les ont vus et salués de loin. Ils ont ouvertement reconnu qu’ils étaient des étrangers et des exilés sur la terre. Ceux qui parlent ainsi montrent clairement qu’ils recherchent une patrie. […] En réalité, ils désiraient une patrie meilleure, c’est-à-dire la patrie céleste » (Hébreux 11.13-16, BFC). Tel est aussi l’avis de l'apôtre Luc qui écrit dans son Evangile : « Que les morts ressuscitent, c’est ce que Moïse a fait connaître quand, à propos du buisson, il appelle le Seigneur le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob » (Luc 20.37). Hélas, les Hébreux semblent avoir vite oublié « l’espérance de la vie éternelle, promise avant tous les siècles par le Dieu qui ne ment point » (Tite 1.2).
3. Claude Allègre, Dieu face à la science, Paris : Fayard, 1997, p. 223 (LP).
4. A noter que, presque unanimement, les théologiens libéraux contemporains mettent en doute l’authenticité historique du livre de Daniel en datant celui-ci du IIe siècle av. J.-C. seulement et en l’attribuant à un auteur inconnu, alors que l’ancienne tradition, tant juive que chrétienne – reposant à cet égard sur une solide conviction – le situait au VIe siècle avant notre ère… c’est-à-dire à l’époque où vivait justement Daniel !
5. Et pourtant, bien antérieurement à l'époque de la rédaction des Psaumes et aux révélations des prophètes, le livre de l’Exode – deuxième livre de l'Ancien Testament dont la rédaction est traditionnellement attribuée à Moïse – fait clairement allusion à la vie éternelle (Exode 3.6) ! D’ailleurs, plus tard dans le Nouveau Testament, le Christ, lui-même, rappellera aux sadducéens – qui ne croient pas en la vie après la mort – cette mention importante, mais souvent oubliée, contenue donc dans le livre de l’Exode : « Pour ce qui est des morts qui ressuscitent, n'avez-vous pas lu dans le livre de Moïse ce que Dieu lui a dit près du buisson : “Moi je suis le Dieu d'Abraham, le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob !” Dieu, ajouta Jésus, n'est pas le Dieu des morts mais des vivants » (Marc 12.26-27, NFC).
6. « Sheol est un terme hébraïque intraduisible, désignant le "séjour des morts", la "tombe commune de l'humanité", le puits, sans vraiment pouvoir statuer s'il s'agit ou non d'un au-delà. La Bible hébraïque le décrit comme une place sans confort, où tous, justes et criminels, rois et esclaves, pieux et impies se retrouvent après leur mort pour y demeurer dans le silence et redevenir poussière » (L’encyclopédie libre Wikipédia, « Sheol », [En ligne] https://fr.wikipedia.org/, consulté en septembre 2021).
7. La Bible de Jérusalem, « Introduction au livre de Job », Paris : Editions du Cerf, 1981, p. 650.
8. La Bible Expliquée, « Introduction au livre de Jérémie », Villiers-le-Bel : Société biblique française, 2004, p. 897-AT.
9. Marcel Simon, 2000 ans de christianisme, Vol. 1, « Le monde juif, berceau du christianisme », Paris : Aufadi - S.H.C. International, 1975, p. 14, 18.
10. Jean Civelli, La résurrection des morts : et si c'était vrai ?, Saint-Maurice : Editions Saint-Augustin, 2001, p. 24-25.
11. Marie Lucien, Le message de Jésus : une spiritualité universelle inusitée, Paris : Editions L'Harmattan, 2009, p. 135-136.
12. « A l’époque de l’Ancien Testament, les croyants reportaient symboliquement leurs péchés sur un animal qu’ils sacrifiaient ensuite. […] L’animal mourait à leur place afin de payer pour leur péché ; ils pouvaient ainsi continuer à bénéficier de la faveur de Dieu. Dieu leur pardonnait gracieusement à cause de leur foi en lui et parce qu’ils obéissaient à ses commandements à propos du sacrifice. Ces sacrifices préfiguraient le jour où Christ ôterait définitivement le péché. C’est Jésus, ”l’Agneau de Dieu, qui ôte le péché du monde” (Jean 1.29), qui a apporté la purification réelle du péché. Par sa nature même, le péché inflige la mort. C’est un fait aussi certain que la loi de la gravitation. Jésus n’est pas mort à cause de ses péchés personnels ; il était sans péché. Au lieu de cela, et grâce à une transaction que nous ne comprendrons jamais totalement, il est mort pour les péchés du monde. Lorsque nous consacrons notre vie à Christ et que, ce faisant, nous nous identifions à lui, sa mort devient la nôtre. Il a payé le prix pour nos péchés et son sang nous a purifiés. Tout comme Christ est ressuscité d’entre les morts, nous ressuscitons pour une vie nouvelle de communion avec lui (Romains 6.4) » (Extrait d'une note de la Bible d'étude Vie Nouvelle, Version Segond 21, Genève : Société Biblique de Genève, 2004, p. 608).
13. Richard Doulière, La justice qui fait vivre, Neuchâtel : Belle rivière, 1975, p. 65.
14. Extrait d'une note de la Bible d'étude Vie Nouvelle, op. cit., p. 364.
 
 
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